Knauf : quatre participants sur cinq se sont exprimés contre

Apporter sa pierre à une pétition en ligne est une chose, prendre sa plume pour se joindre au débat encadré par l’enquête publique en est une autre. Plus de 440 personnes ont joué le jeu, consignant leurs observations dans le registre après une entrevue avec le commissaire enquêteur ou en les livrant par voie numérique. Elles sont toutes recensées sur le site moselle.gouv.fr. C’est à présent au préfet d’en tirer les conclusions.

78,5%, soit 347 citoyens, ont marqué une opposition claire et nette au projet. Cette donnée rassemble des messages de nature différente. Certains avis tiennent en une phrase, d’autres se développent sur plusieurs pages.

Élus et citoyens ne sont pas sur la même longueur d’onde

Les messages ont été rendus anonymes. Mais un tiers d’entre eux garde une indication quant à la nature de l’auteur : élu, dirigeant d’entreprise, riverain… il est ainsi possible, sur cette base, de tirer les enseignements suivants : les habitants, qu’ils signent d’Illange, de Bertrange, de Yutz, Stuckange, Distroff… sont unanimes (à deux voix près) : ils ne veulent pas de cette usine.

Face à eux, les élus apparaissent divisés, bien que majoritairement pour le projet Knauf, à l’image des ambassadeurs MOSL, des dirigeants d’entreprises, des groupements d’intérêts économiques et des industriels.

Une dynamique porteuse d’espoir

Ces derniers défendent un projet capable de redonner au territoire attractivité et dynamisme, d’y apporter une activité créatrice d’emplois et de richesses. L’emploi, voilà le mot-clé répété à l’unisson, dans un bassin qu’il convient de réindustrialiser : « La Moselle ne peut miser tout sur le tertiaire et sa proximité avec le Luxembourg », est-il avancé le 20 septembre. Or Knauf est un industriel sérieux, mondialement réputé et sa présence doit être considérée comme une chance pour la Moselle. Qui plus est, le projet est dans les clous d’un point de vue environnemental : les rejets de gaz polluants seront en deçà des normes nationales.

Parmi les fervents défenseurs de la future usine, le maire de Kuntzig va, le 19 septembre, directement au but : il le reconnaît, sa commune sera fortement impactée, « certainement la première, étant dans les vents dominants ». Mais Knauf s’est engagé à respecter les recommandations de la MRAE ainsi qu’à remplacer les formaldéhydes – dont le maire souligne les effets toxiques –, par un produit inoffensif.

Un seul bémol parmi ces hommes et ces femmes ravis d’accueillir Knauf : un message de soutien souligne « la modicité de la garantie financière en cas de pollution ».

Des riverains aux abois

De l’autre côté, les habitants parlent d’« aberration environnementale » et d’un « process industriel qui ne peut se revendiquer d’une politique économique à caractère durable » : ils stigmatisent un procédé archaïque, polluant et une usine qui ne bénéficiera pas des meilleures techniques disponibles en matière de captation de gaz toxiques. Ainsi ce Bertrangeois déplore le 19 septembre l’absence de « stratégie de réduction à la source des émissions de substances nocives dans l’air ambiant ». Propos étayé treize jours plus tard par le courrier d’une société luxembourgeoise qui offrait à Knauf de capter 99,9% des gaz émis, et qui se désole de discussions avortées pour des motifs économiques. D’autres encore égrènent les déboires que connaîtrait Knauf en Serbie, en Belgique ou à Lannemezan.

L’exemple luxembourgeois

Aussi, c’est peu dire que les exigences de la ministre luxembourgeoise de l’Environnement comme le refus des communes de Sanem et Differdange ont été abondamment cités et commentés. Mme Dieschbourg est ainsi restée sans réponse face à des questions cruciales, notamment celle des émissions d’ammoniaque. « Suffit-il de passer la frontière pour faire de cette usine un modèle en matière environnementale ? », demande une habitante asthmatique depuis l'enfance.

Le conseil communal de Sanem est cité comme référence et, dans le même temps, on rappelle la promesse faite au moment de la création de la mégazone de ne pas y installer d’entreprise classée.

Et si le dossier de l’industriel a reçu le feu vert de l’administration française, certains questionnent la « schizophrénie » de l’ARS : comment établir un Plan de Protection de l’Atmosphère (PPA) « tout en rendant son application impossible » ? Les agriculteurs bio se lamentent d’une « usine en contradiction avec la bonne exécution » de ce PPA. Beaucoup signalent les dépassements réguliers des seuils, l’obsolescence de ces derniers tout comme cette phrase issue du PPA des Trois vallées : « Il convient d'ajouter que les effets des polluants atmosphériques sont néfastes même en cas de respect de valeurs limites ».

D’autres paradoxes sont pointés : « Où est l’intérêt de recycler les déchets, de pratiquer la tonte tardive des espaces verts, tout un blabla anéanti par la pollution de cette usine. » Dans le même ordre d’idées, on reste médusé devant « les appels à changer nos modes de consommation » alors que les représentants politiques semblent prendre des décisions à rebours de ce mouvement. D’autres questionnent l’intérêt d’avoir développé des écoquartiers pour en arriver à « un territoire souillé ».

Une cour d’école à 350 mètres

Et c’est le sens même des normes censées être valables « à 350 mètres des écoles et des complexes sportifs » qui fait débat. En effet, la proximité de l’école d’Illange cristallise le plus d’incompréhensions : « Parfait, voilà des enfants à qui l’on explique ce qu’est le développement durable et dans la pratique, l’action politique conduit à la construction d’une usine crachant des fumées d’oxyde de soufre et autres (…) Cette pollution va irrémédiablement provoquer des maladies extrêmement graves dans l’avenir. Mais comment peut-on avoir si peu de vision à long terme ? »

Or l’école d’Illange n’est pas la seule impactée. Un habitant de Yutz a repéré l’école maternelle Fritsch au cœur d’une des taches rouges présentées dans le plan d’étude d’impact. Un élu de Distroff comptabilise « 736 tonnes de produits toxiques rejetés chaque année » : « Comment peut-on mettre en danger la santé d'autant de monde ? », s’indignent le 20 septembre d’autres participants.

« Vivre en Moselle ne doit pas devenir un handicap »

Et nombreux sont ceux qui contestent l’argument économique déployé par les partisans du projet Knauf : ce dernier, alimenté par du charbon livré par camions est, à leurs yeux, anachronique et ne pourra guère susciter à ses côtés des projets d’une autre nature. Conséquence : à l’avenir, de nouvelles activités génératrices de pollution sont à craindre. Pourtant, non, « la Moselle polluée n’est pas une fatalité », crie un habitant d’Illange.

La proximité des terres agricoles, des vergers et des potagers pose également question : ce papa et agriculteur bio juge « impensable qu’une multinationale construise une usine à rejets toxiques aujourd’hui ». Plus mesuré, le Luxembourg avait néanmoins posé un constat analogue, en songeant précisément à ses agriculteurs.

Les appels au secours des parents d’enfants allergiques, asthmatiques, atteints de leucémie sont particulièrement poignants, à l’image de ce père qui vit à Yutz, à moins de deux kilomètres des cheminées prévues : « Mon enfant sera toute sa vie davantage exposé à un risque de récidive de son cancer (…) J’espère que notre appel sera entendu et qu’une décision ministérielle d’arrêt de ce projet, invraisemblable et monté dans le dos de la population, sera prise. » Un autre supplie que ses enfants ne soient pas « saupoudrés en permanence de rejets industriels ».

Quelles alternatives ?

L’heure est venue de « se défaire d’une Moselle toujours associée à l’industrie » pour faire de cette mégazone « un modèle d’innovation écologique », veulent croire des internautes. Créer de l’emploi, oui, mais de façon pérenne et responsable, scandent-ils, dénonçant le « chantage à l’emploi ». « Sommes-nous réduits au choix dramatique entre le chômage et l'empoisonnement ? », se désole un citoyen au matin du 29 septembre. « Nous pouvons renouer avec l'emploi sans sacrifier notre santé et nos enfants », lui répond, le 5 octobre, une habitante de Yutz. Or les alternatives ne manquent pas, à commencer par le chanvre, pour la culture duquel le territoire lorrain se montrerait propice.

Un appel est lancé aux élus pour reprendre le flambeau : « Nos élus ont le devoir moral de protéger leurs administrés », est-il écrit dans l’un des derniers messages reçus le 5 octobre peu avant 23 heures, qui semble faire écho à un autre courrier posté trois heures plus tôt : « Nous attendons des industriels et politiques un projet novateur et ultra écologique pour propulser notre région au rang de modèle national. »

Dominique Nauroy